Axes de recherche

SAVOIR FAIRE, ORGANISATION ET COMPÉTENCES EN URBANISME & ENJEUX CONTEMPORAINS DES PROJETS D’URBANISME

Laboratoire LIEU, projet scientifique

  Axe 1  – Regards pluridisciplinaires sur les fabriques urbaines

1.1 La fabrique urbaine

La fabrique urbaine vient nuancer les approches sur le projet urbain telles que développées depuis plus de 20 ans en confrontant les projets et politiques d’aménagement à la matérialité morphologique et historique des espaces urbains, bref à leur temps long. Elle permet aux chercheurs du LIEU d’interroger la construction de l’urbain dans la longue durée en réinterrogeant les dimensions spatiale, sociale et temporelle au regard des objectifs et outils de l’action collective. Il s’agit là d’éclairer les choix en matière d’organisation et de transformation de l’espace, de travailler sur le dessein de territoire à partir d’une connaissance fine des réalités sociales et matérielles.

En étant plus ouverte que celle de projet, la notion de fabrique urbaine paraît plus à même d’englober la diversité d’approches qui se déploient dans le laboratoire, dans le même temps qu’elle fait place à planification et à l’élaboration des documents d’urbanisme. Dès lors, le laboratoire interroge la ou plutôt les manières dont se fait la ville ou s’organisent les territoires à l’heure actuelle : que ce soit par l’angle des acteurs, des organisations institutionnelles et du droit, mais aussi depuis les pratiques, les dynamiques collectives qui peuvent émerger indépendamment des politiques urbaines et le vécu des populations. L’enjeu étant, à travers une posture analytique et/ou critique de contribuer à dégager tant les signaux faibles que les ressources existantes pour relever les défis contemporains posés à la ville et à l’aménagement (crise écologique, inégalités et fragmentations, privatisation des espaces publics, hétérogénéité des échelles spatiales et temporelles en jeu, prégnance des logiques économicistes…). Il s’agit ainsi tout autant de dégager les points aveugles et les conséquences des modes de faire actuels, que de penser et révéler les germes de renouvellement des pratiques afin de contribuer à une évolution des approches théoriques de l’urbanisme et de l’aménagement. Le laboratoire conduit également en ce sens des recherches exploratoires d’un point de vue méthodologique dans l’optique d’enrichir les modes d’approche de la fabrique urbaine et des territoires et la compréhension de ce qui permet de faire ville.
Ces recherches ne sont pas exclusives d’un type d’aménagement. Elles concernent tout autant l’urbanisme d’exception, celui des grands projets, que l’urbanisme ordinaire et les réalisations individuelles. Dans un contexte d’incertitude et d’un urbanisme d’après crises (A. Bourdin), elles visent à comprendre comment les fabriques urbaines, grandes et petites, transforment les territoires, du projet de quartier au projet de métropole.

1.2 Une pluridisciplinarité pour des regards complémentaires

La capacité à croiser différents angles d’analyse de la fabrique urbaine est une force identifiée de l’équipe. Cette interdisciplinarité est mobilisée pour appréhender les dialogues, écarts, tensions, voire conflits et ruptures qui caractérisent les fabriques urbaines contemporaines. Selon les angles d’attaque privilégiés par les différents chercheurs ces tensions/écarts ont plusieurs traductions : grande fabrique versus petite fabrique ; perceptions et pratiques des habitants versus normalisation ; injonctions contradictoires dans les objectifs des politiques publiques…

Cette diversité des regards permet une analyse de la construction des attentes et des besoins et des formes d’interaction entre ces enjeux et la déclinaison de l’action par des politiques publiques.

Forts de cette approche commune les chercheurs du LIEU ont ainsi décidé de 4 axes autour desquels s’organisent leurs travaux sur les fabriques urbaines. Ces axes se veulent à la fois un manifeste visant à prendre en compte l’ensemble des dimensions du l’urbain avant de le transformer et une première tentative de construction d’un grille méthodologique exploratoire propre à la jeune équipe du LIEU.

  Axe 2 – Construire un cadre analytique de la fabrique urbaine liant quatre points de vue complémentaires

Cette grille comprend quatre entrées qui visent à embrasser les quatre dimensions jugées essentielles pour comprendre les enjeux de la fabrique urbaine.

2.1. Projets de territoires. Matérialité et transformation des territoires et des fabriques urbaines

Nos réflexions portent sur la production matérielle de la ville. Le « grand » projet d’urbanisme n’est pas l’unique entrée, il est un des instruments de l’action sur les territoires puisque dans un contexte de réduction des moyens, les grands projets urbains restent exceptionnels. Nous voulons également regarder la production de projets plus ordinaires qui alimentent tout autant un corps de savoirs sur les pratiques. Dans les deux cas il s’agit d’appréhender les transformations physiques des territoires dans un contexte de renouvellement urbain, la façon dont le projet contribue à structure la ville, à « faire couture », à développer, à préserver …

Ces interrogations sont conduites dans des territoires le plus souvent dégradés, avec des populations précaires en périphérie (quartiers d’habitat social ; faubourgs anciennement ouvriers), mais aussi en centre-ville. Les chercheurs du LIEU travaillent sur les expériences urbaines (Pecqueux 2012) et des façons dont les territoires sont vécus afin de réinterroger les modes de faire et de penser la ville, à partir de ce que ces dimensions permettent de comprendre de l’habiter.

Les espaces publics constituent une entrée privilégiée dans l’axe proposé (cf. textes produits dans quadriennal en cours). Concernant les modes de production des espaces publics, une attention privilégiée peut être accordée au design urbain. Cette pratique professionnelle, à la charnière entre l’architecture et l’urbanisme, est en effet attentive aux espaces publics et à leur rôle majeur dans l’organisation des villes. Les espaces publics ne sont pas ici isolés, mais véritablement articulés aux espaces bâtis qui l’entourent ou le bordent, ils sont une composante essentielle de la qualité du cadre de vie, une notion qui intègre les pratiques des populations, mais aussi les modalités de gestion prises en charge par les services de la ville et autres acteurs de l’urbain. En fonction des modes d’appréhension des espaces publics par des acteurs de la production urbaine, des modalités de leur traitement, ils sont en capacité de donner au territoire une identité singulière tant à l’échelle du vécu, des populations, de la proximité qu’au niveau d’un positionnement interurbain, métropolitain.

Nous cherchons à analyser la contribution du tourisme à la (re)configuration des territoires (politiques d’aménagement et d’urbanisme, processus et jeux d’acteurs) et à interroger la tension entre les injonctions d’attractivité des territoires et de préservation des espaces sensibles (valorisation vs. Protection). Cette analyse est notamment appréhendée à partir des concepts de gouvernance environnementale et de gestion des capacités de charge.

Des travaux caractérisés par une dimension internationale, une place forte accordée au terrain et aux approches qualitatives pour comprendre les enjeux  territoires en tensions et notamment la circulation des modèles Nord/Sud. La question de la mise en visibilité de la dimension sud-méditerranéenne a émergé au sein du LIEU en lien avec des parcours de formation ayant existés (Master EURMED) et projetée (spécialité de Master 2 à l’étude) à l’IUAR, la volonté de l’AMU de se positionner sur cette thématique et la création de l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires.

2.2. Outils et acteurs de la transformation des territoires et de la fabrique urbain

Cette seconde entrée prolonge les réflexions impulsées dans le cadre de l’axe 1.1 du précédent quadriennal intitulé Expertise, processus de conception et jeux d’acteurs dans les projets urbains. Elle vise à analyser l’évolution des outils et des modèles professionnels au plus près des pratiques professionnelles dans un contexte fortement mouvant.

L’équipe souhaite s’inscrire dans ces questionnements en développant les thématiques ci-après :

• En amont des projets : quelles constructions des savoirs et savoir-faire en urbanisme : Quels sont les lieux de production des savoirs (écoles, universités et centres de recherches), les modalités de transmission (émergence et consolidation de l’enseignement de l’urbanisme), les lieux d’échange (revues, expositions, congrès, associations professionnelles et agences d’urbanisme).
Au cours de la pratique professionnelle : Les trajectoires professionnelles et l’expertise internationale dans l’urbanisme contemporain. Les parcours professionnels d’urbanistes (et architectes) comme vecteurs de la circulation de modèles urbains (et architecturaux). Mettre à jour la dimension internationale de l’urbanisme comme marché et terrain d’application. Quel rapport existe entre les réponses avancées par les acteurs dans la transformation de territoires et l’esprit et l’histoire des lieux. Quels sont les risques de l’expertise internationale ?

• La production de données et « le réel mesuré » préalable à l’action. Les méthodes et les outils du diagnostic territorial sont un sujet de réflexion spécifique, en lien étroit avec la pratique du diagnostic en ateliers de master. Le choix d’indicateurs et la construction d’une problématique visant à préparer, justifier et mener une action ainsi que la mobilisation de réseaux d’acteurs propres à porter le projet sont en tant que tel des objets de recherche.

• Les outils et les dispositifs opérationnels, les instruments et leur mise en œuvre sont au cœur de nos préoccupations. Quelle ingénierie pour les projets d’aménagement, quels types d’acteurs sont mobilisés, les formes d’expertise et de culture métier, les modes de participation institutionnalisée et le pluralisme de l’action collective font l’objet de notre attention.

• Les outils et les dispositifs du financement de l’urbanisme. Dans un contexte de raréfaction des ressources publiques, il s’agit de décrypter ce qui se joue dans le double processus de contractualisation dans le financement de projet (FEDER, CPER, politique de la ville, financements communautaires…) et de recours grandissant au privé (DSP, PUP, PPP…). Autant de façons de faire qui si elles ne sont pas totalement nouvelles viennent aujourd’hui bouleverser la façon de financer la fabrique urbaine.

• Le cadre institutionnel et ses incidences sur les jeux d’acteurs dans un contexte métropolitain : Depuis des décennies les chercheurs du LIEU travaillent sur l’aménagement de la région urbaine marseillaise et de son extension dans son arrière-pays, le long de la vallée de la Durance notamment. Ces travaux viennent prolonger l’expérience du laboratoire dans l’expertise des enjeux locaux. La multiplication des procédures et des échelles de projets territoriaux n’a pas permis l’apparition de politiques partagées, qu’elles soient appuyées sur une volonté centrale, européenne ou étatique, ou reposent sur l’affirmation de pouvoirs régionaux ou urbains. C’est dans un tel contexte qu’il s’agit de repérer et d’analyser toute nouvelle forme de construction de représentations communes sur un territoire fortement banalisé. A l’échelle de l’AMM (Aire Métropolitaine Marseillaise) la production des documents d’urbanisme (SCOT et PLU), la mise en œuvre des politiques publiques d’habitat et de déplacement au travers des PLH et des PDU, les protections régaliennes, sites classés ou inscrits, la prise en compte des risques, etc. sont tous frappés du syndrome du périmètre et peinent à construire une politique métropolitaine en dépit des injonctions gouvernementales.

2.3. Politiques et normes dans la transformation des territoires et de la fabrique

Cette troisième entrée vise à prendre en compte l’évolution plus générale des enjeux et des modèles de l’urbanisme et de l’aménagement urbain. Cette approche s’inscrit dans le temps long du cadrage des problèmes publics (réformes juridiques, mises à l’agenda politique…) pour mieux comprendre ou repérer des inflexions contemporaines et en comprendre le sens.

• Les injonctions contradictoires de l’action publique : attractivité des territoires (quête d’une « performance territoriale » mesurable) ; cohésion et solidarité territoriales (prise en charge des fragilités et des inégalités sociales territoriales et environnementales dans un contexte de reprise de l’accroissement des inégalités) ; préservation de l’environnement et de l’intégration des risques, dans un contexte de raréfaction des ressources et de déséquilibres climatiques. La combinaison de ces trois enjeux ne va pas de soi. Ces trois priorités sont souvent difficilement conciliables. Elles donnent lieu à des rapports de force entre les acteurs dans les projets et politiques que nous observons. Nos travaux le montrent dans divers champs : tourisme, mobilité durable, habitat, renouvellement urbain, construction métropolitaine.

• Les modèles, les modes de pensée, les référentiels et les théories de l’urbanisme : entre recyclage et nouveauté. Vers un urbanisme néohygiéniste ? Poids des injonctions morales pour orienter les « bonnes » conduites individuelles vertueuses, écologiquement responsables (ex des politiques en faveur de la mobilité durable). Pénalisation et exclusions de certains usages et usagers considérés comme déviants. Gouvernement des conduites et politiques urbaines spatialement et socialement sélectives ?

• Le droit et ses réformes : comment les outils juridiques orientent, encadrent, contraignent ou conditionnement les démarches de projet ? L’inflation juridique n’est-elle pas le signe d’un affaiblissement de la portée de la régulation juridique ? Nous interrogeons l’hétérogénéité dans le degré de prescriptivité du droit de l’urbanisme et de l’environnement et de leur opposabilité (PLU, SCOT) et le renouveau d’anciennes logiques de dérogations encadrées. Ces évolutions juridiques posent la question de la lisibilité des objectifs du droit de l’urbanisme et de l’environnement. Certains chercheurs du LIEU, notamment en droit public, s’intéressent depuis plusieurs années aux mutations accélérées du droit de l’urbanisme et de l’aménagement, notamment depuis la loi Grenelle 2 de 2010, et à leurs impacts ? sur les politiques locales (intercommunales et communales) et sur les pratiques des acteurs.

• Transformations du système normatif et juridicisation de l’urbanisme favorisent l’installation d’une ingénierie juridique complexe qui poursuit sa propre logique, indépendamment de la réalité des territoires, en créant de nouvelles inégalités entre territoires. Les chercheurs du LIEU interrogent ainsi l’affaiblissement de la logique réglementaire classique (fondée sur la norme unilatérale et sur la sanction du respect de la hiérarchie des normes) et émergence d’une logique de  performance (objectifs à atteindre dans différents domaines, indicateurs de résultat, suivi et évaluation en continu, objectifs chiffrés de limitation de consommation de l’espace…) ainsi que le retour, sous d’autres formes à la pratique des dérogations d’urbanisme « encadrées » par le biais de procédures de mise en compatibilité qui conduit à faire prévaloir une logique de projets d’opérations sur la logique de projet urbain promue par la loi SRU. Ces expérimentations démontrent l’actualité de forme de territorialisation des politiques publiques, qui  détourne la logique décentralisatrice et révèle les  tensions et contradictions entre des objectifs nationaux  (eux-mêmes contradictoires) et les dynamiques territoriales locales (territoires sous pression de densification ou de « sanctuarisation »)…

2.4. L’action collective non institutionnalisée.

Les chercheurs du LIEU, dans leur analyse des pratiques du quotidien qui visent à transformer les rapports à l’espace, apportent une attention particulière aux formes non institutionnellement encadrées d’innovations sociales, qui finissent parfois par être reconnues par le droit (habitat participatif, habitations temporaires…). L’étude de la multiplication des initiatives individuelles ou collectives fait partie des champs de recherche du LIEU.

• A des enjeux urbains déjà connus (risques naturels et technologiques, inégalités environnementales) ou émergents (changement climatique, précarité énergétique) s’ajoutent aujourd’hui des enjeux économiques et sociaux (crise financière, spéculation immobilière, appropriation des espaces publics) auxquels la puissance publique peine à répondre, obligeant les habitants à développer des stratégies d’adaptation protéiformes. La vivacité des expériences de collectifs ou de créatifs culturels, d’initiatives de quartier, de jardins partagés, de végétalisation des rues par les habitants, d’aménagements éphémères artistiques ou ludiques, qui ressemblent à des successions d’initiatives autonomes peut-elle être analysée comme une recherche de nouveaux liens, de réhumanisation de villes (trop) métropolisées, d’actions collectives plus spontanées ? Ces formes d’agir non coordonnées s’opposent-elles frontalement ou peuvent-elles contourner, voire réenchanter les contraintes de l’urbanisme et l’uniformité du droit ?

• En apportant des éléments de réponse à ces questions au travers de leurs travaux de recherche, les chercheurs du LIEU portent une attention particulière au renouvellement des formes d’action. Au-delà du constat assez pessimiste sur la portée réelle de l’action publique, leur démarche participe à renouveler l’outillage méthodologique et conceptuel pour l’action en urbanisme et aménagement.

Cette grille vise à nous permettre d’appréhender la complexité de ce qui se joue dans la fabrique urbaine et de modéliser des connaissances pour éclairer (infléchir ?) l’action publique. Derrière cette approche deux idées, qui résument la philosophie des membres du laboratoire : la première est bien celle de faire le lien entre normes et pratiques, dispositifs et projets ; la seconde est de produire une recherche qui puisse participer à infléchir les fabriques urbaines  et ce grâce à différentes formes de transfert des connaissances